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Sous-emploi des seniors : qui est responsable ? – Alban Azzopardi, Directeur Général, Grant Alexander – Executive Interim

Entre la question très sensible du salaire et celle de la rupture générationnelle, Alban Azzopardi s’interroge sur les raisons pour lesquelles les seniors français ont tant de difficultés à trouver du travail ou rester en poste. Il insiste sur le rôle crucial des entreprises sur cette question.

Si le taux d’emploi des 55-64 ans en France augmente sensiblement pour atteindre 57%, il accuse toujours un retard de plus de 5 points par rapport à la moyenne européenne, et même de près de 15 points par rapport au Danemark.

Il y a quelques jours, le ministre de l’Économie s’est dit favorable à un abaissement de la durée d’indemnisation chômage des plus de 55 ans pour l’aligner sur celles des autres chômeurs. Mais cela permettra-t-il vraiment de remédier au problème ?

C’est un fait : les dirigeants d’entreprise et DRH recrutent en moyenne peu de seniors, leur préférant souvent des profils plus jeunes. Ils indiquent pourtant ne pas avoir de raison objective de les désavantager, leur reconnaissant même de nombreuses compétences . La séniorité, c’est en effet un savoir-être et un savoir-faire enrichis par l’expérience.

Comment expliquer ce paradoxe ? Deux raisons principales sont évoquées par les recruteurs. La première tient au sujet sensible de la rémunération. De fait, nous semblons considérer que l’avancement en âge doit mécaniquement s’accompagner d’une progression de salaire, comme s’il était justifié de rémunérer l’expérience passée plutôt que la valeur ajoutée actuelle. De même, un salarié plus jeune n’a pas moins de besoins qu’un senior. C’est encore plus vrai en France que dans d’autres pays de l’OCDE : la rémunération moyenne des plus de 55 ans est chez nous supérieure de 17% à celle des 25-54 ans, contre 11% en Allemagne et 3% au Danemark.

Rompre avec ce raisonnement reviendrait, au cas par cas, à envisager un alignement de la rémunération du senior sur les missions qui lui sont effectivement confiées. Ponctuellement possible et légitime, cette solution ne saurait être généralisée : ce ne serait ni juste (ces salaires plus élevés peuvent aussi refléter, en partie, une productivité plus grande), ni même souhaitable au regard de la baisse du pouvoir d’achat. Pour préserver ce dernier, il faudrait alors compenser les éventuelles diminutions de rémunération par de nouvelles exonérations de charges liées à l’âge ou au type de contrat.

La seconde raison est liée à la vie quotidienne en entreprise. Face aux ruptures générationnelles, liées aux bouleversements technologiques et aux changements sociétaux, certains doutent – à tort – qu’un senior puisse s’adapter à l’évolution profonde et rapide du monde du travail, et s’intégrer dans des équipes plus jeunes.

Ce qui nous renvoie à une autre interrogation : et si les difficultés d’emploi des seniors étaient le reflet de notre rapport particulier au travail, aux loisirs et à la retraite ? Celui-ci est en plein chamboulement. Nous allons en moyenne vivre, mais aussi travailler, plus longtemps et différemment. Au-delà d’un effet post-covid, notre conviction est que nous ne sommes qu’aux prémices d’une révolution qui doit tous nous pousser à évoluer.

Du côté des collaborateurs, le changement est bien engagé, avec la remise en cause d’une approche distinguant des périodes bien déterminées : les études puis l’emploi (valorisant le sacro-saint CDI et l’avancement de carrière) et enfin la retraite, matérialisée par un âge couperet psychologique de 60 ans évoluant peu malgré les réformes successives. De plus en plus d’actifs, et pas seulement les jeunes, envisagent désormais des va-et-vient entre formation, emploi et césures, s’attachent à mieux équilibrer vie personnelle ou familiale, changent plus fréquemment d’entreprises voire de métiers. De ce point de vue, les dernières années de vie professionnelle peuvent se concevoir comme une période de transition où l’on souhaite « lever le pied », tout en restant actif et en faisant bénéficier son employeur de son expérience et de ses compétences.

Au final, les entreprises ont un rôle crucial à jouer ! Il ne s’agit pas de les inciter à « prendre le risque » de recruter un senior mais bien de les aider à changer profondément leur approche de la question. Elles doivent intégrer l’intergénérationnel en entreprise comme un fait incontournable et bénéfique, et donner à leurs collaborateurs seniors la bonne place, celle à laquelle ils s’épanouiront le plus dans l’intérêt de toute l’entreprise.

Que nous agissions sur la rémunération ou le contenu de la mission, nous ne ferons pas l’économie d’une refonte du cadre professionnel, donnant plus d’espace à l’agilité, avec notamment davantage de contrats courts liés à des missions précises, rémunérées en fonction du travail produit et non du CV de leur titulaire. Le retard français en matière d’emploi des seniors nous renvoie en effet à nos rigidités psychologiques, organisationnelles, juridiques. C’est en les abordant sans tabou que nous relèverons le défi d’une société où l’épanouissement peut devenir une réalité à tout âge.

Lire l’article sur le site de la Croix