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Nous sommes autant des êtres de raison que d’émotions – Olivier Bas pour l’ouvrage “Envier ou avoir envie”

EXTRAIT DU NOUVEL OUVRAGE COLLECTIF DU CERCLE DU LEADERSHIP « Envier ou avoir envie »

 

Par : Olivier Bas, Vice-président Havas Paris, auteur, enseignant à Sorbonne Nouvelle.

 « Rien de grand ne se bâtit sans envie, rien de durable non plus. »
Olivier Bas

 

 

Communauté de désirs

 

Raphaëlle Laubie : Créateur d’envie, auteur de l’ouvrage L’Envie, une stratégie, en vingt-cinq ans vous avez accompagné près de 200 entreprises et leurs dirigeants dans leur transformation. Pourquoi ce sujet ?


Olivier Bas : Il y a maintenant sept ans m’est venue l’idée de travailler sur l’envie. Les entreprises investissaient beaucoup dans les ressources humaines, énormément dans la formation et dans les risques psychosociaux et en même temps, les baromètres signalaient un déficit d’engagement dans les entreprises. Un phénomène paradoxal. En grattant un peu, je me suis aperçu que la question de la motivation avait été très abordée. Il y a toute une série de théories de la motivation, mais rien sur la notion d’envie. J’ai voulu creuser.
La question de la communauté est aussi apparue. L’entreprise est une communauté, mais quel type de communauté ? Ce n’est plus une communauté de destin, du temps où on rentrait dans une boîte pour faire carrière. Ça existe peut-être encore un peu dans les PME, mais c’est fini dans les grands groupes.
Ce n’est pas une communauté de valeurs. Je ne le crois pas. On a beau mettre en lumière deux ou trois valeurs pour faire bien en disant que ce sont les valeurs de l’entreprise, mais les valeurs, c’est très personnel. C’est peut-être alors une communauté d’intérêts, mais une communauté d’intérêts très chahutée car il y a un conflit dans le partage de la richesse entre l’actionnaire, le client et le salarié. C’est donc une communauté de désirs. Le principe même d’entreprise, c’est la comédie du désir. Ce sont des gens qui vivent et qui se rassemblent pour accomplir un destin et un dessein ensemble. Et c’est comme ça que j’ai commencé à élaborer sur le sujet de l’envie. 

Justement, par rapport à la motivation ou au désir, comment illustrer ce concept d’Envie ? Quelles composantes ?

Je n’ai pas passé en revue toutes les théories de la motivation avant d’écrire mon livre sur l’envie, elles sont toutes construites sur la même mécanique, qui est assez simple, c’est la maximisation sous contrainte. Si je fais un effort, si en contrepartie de cet effort, j’ai une récompense proportionnée à celui-ci, alors j’ai des motifs d’action et la récompense peut prendre des formes très variables. Quand on regarde le fordisme, on s’aperçoit que la récompense est l’argent, c’est l’organisation du travail à la tâche et plus on travaille, plus on gagne. À l’école des relations sociales, la récompense est la relation, par exemple. Mais dans ce type d’équation, elle a deux écueils. La première, c’est qu’elle ne parle que d’une partie de nous-mêmes, qui est la dimension rationnelle, mesurée et réfléchie. Et la deuxième, c’est qu’elle est très individuelle. Par exemple, chez Havas, je manage en direct une équipe d’une cinquantaine de personnes en essayant de faire du transfert de motivation entre deux individus et ça reste très très compliqué. Donc, il manque une composante et l’envie me semble être la pièce qui manque. Je définis l’envie comme quelque chose qui est généré par nos états émotionnels. En fait, nos émotions sont l’oxygène de notre vie. Et donc, puisque c’est généré par les émotions, c’est quelque chose d’extrêmement collectif, à la différence de la motivation. Puisque, vous le savez, tous les états émotionnels, les climats émotionnels sont extrêmement contagieux. Avec cette dimension émotionnelle, l’envie relève du domaine du collectif. Alors, comment on peut générer ou régénérer de l’envie dans les entreprises, sachant que le sentiment que j’avais à l’époque, mais qui n’a malheureusement pas beaucoup changé, c’est que les entreprises, au nom de la performance, détruisaient l’envie qui fait la performance.

On va parler de cette destruction de l’envie, de panne d’envie, mais juste avant, sur l’étymologie première de l’envie, que pensez-vous du désir torturant ou encore du mauvais œil de l’envieux ?

En fait, j’ai fait comme vous. Un jour, quand j’ai commencé à travailler sur le sujet, j’ai commencé à regarder ce qui avait été écrit, puis comment ça se définissait. Je me suis beaucoup arrêté à la définition freudienne de l’envie, c’est-à-dire cette image mnésique du sein de la mère qui fait que quand il disparaît, il y a un manque absolu parce qu’il est nourricier et qu’on recherche à reproduire cette image. Donc « on a envie de ». Mais très rapidement, je suis passé à mon sujet. Je n’ai pas envie de regarder du côté sombre de l’envie. Moi, ce qui m’intéresse, c’est en quoi c’est une énergie positive. L’envie, je la définis comme une énergie, en fait, véritablement. Quand on a envie, on a une espèce d’énergie qui fait qu’on est. On est beaucoup plus engagé, on est beaucoup plus en vie.

 

L’énergie de nos états émotionnels

 

Avez-vous vous-même vécu une panne d’envie ou l’avez-vous observée dans vos équipes ? Quel remède ?

Oui, en permanence. Ce sont les états émotionnels qui varient. Nous sommes autant des êtres de raison que d’émotions. Et je fais référence à Daniel Kahneman, par exemple, prix Nobel d’économie que tout le monde connaît, qui a écrit un livre expliquant que notre cerveau a deux systèmes. Le premier est beaucoup lié à nos états émotionnels, il est intuitif et automatique. Le second est un système plus réfléchi et analytique. Nous appréhendons le monde d’abord avec notre système 1, utilisé par défaut, le système 2 nécessitant de faire un effort. Quand je suis face à une situation, dès qu’elle me touche et qu’elle me bouscule et qu’elle me renvoie à des choses qui sont importantes pour moi, je vais d’abord la vivre émotionnellement et ce n’est qu’ensuite – et je n’y arrive pas toujours – que je vais essayer de réguler mon état émotionnel et de me dire OK, réfléchissons à la situation, posons le problème, essayons de trouver une solution, donc faire appel à des fonctions cognitives supérieures. Ainsi, comme nos envies sont liées à notre état émotionnel, nous passons notre temps à être dans des états où nous avons envie ou pas envie. Comme tout le monde, parfois je me lève le matin sans envie, en apathie, sans énergie. Et puis, d’autres fois, mon état émotionnel est orienté positivement et je vais être beaucoup plus engagé dans ce que je fais. 

 

Le pouvoir des mots

 

Très belle image, merci. Quels seraient les atouts d’un leader qui sait réveiller l’envie ? Aussi, quels sont les environnements favorables ?

Alors ça, c’est essentiel. D’abord, je suis convaincu que pour régénérer l’envie dans les entreprises, tout le monde a sa part de responsabilité. Le dirigeant, bien sûr, la fonction RH, bien évidemment, les managers, les communicants et les collaborateurs. J’ai recueilli les témoignages de nombreux dirigeants (Antoine Frérot, Denis Olivennes, Stéphane Richard, Yannick Bolloré et bien d’autres…) et il y a plusieurs enseignements. Le premier est lié à la vision qu’ils ont du profit. J’ai la conviction que les entreprises ne sont pas là pour faire du profit. Ce n’est pas la finalité des entreprises. La finalité des entreprises, c’est de faire du progrès. Du progrès social, du progrès économique, du progrès environnemental, du progrès technologique. Si elles font du progrès, elles font de l’argent. Et grâce à cet argent, elles financent le projet qui permet de faire du progrès. Donc l’essentiel tient à l’état d’esprit du dirigeant. Fonctionne-t-il en mode trimestriel, conseil d’administration et profit, ou a-t-il un état d’esprit qui fonctionne en temps long, progrès et projet ? Rien que cette manière de regarder à quoi sert sa boîte, c’est générateur ou destructeur d’envie. Parce que quand vous êtes dans une entreprise, personne ne se lève le matin pour un taux d’EBIT. Et donc de cet état d’esprit naîtront les conditions de l’envie. Et il y a des patrons qui ont cette vision-là, qui ne se trompent pas. Ils sont d’abord sur une logique d’utilité de progrès, et tout ça va générer du boulot. C’est une révolution copernicienne dans la manière de regarder l’utilité des boîtes. Mais ce qui est bien, c’est que les jeunes générations qui arrivent au pouvoir aujourd’hui dans les entreprises – il y a plein de patrons de grosses boîtes SBF120 et CAC 40 qui ont 40, 45 ans – portent un autre regard par rapport à ces sujets-là. Ça, c’est plutôt bien. C’est la première chose. La deuxième, je pense, est liée au pouvoir des mots. Moi, je suis convaincu que les mots sont des actes en devenir et donc la manière dont je dis les choses est génératrice ou pas d’envie. Et je m’étais amusé dans mon livre à faire une analyse des discours des patrons et on s’aperçoit que les discours des patrons ont des polarités émotionnelles. C’est assez rigolo. Par exemple, j’ai bossé avec un garçon qui s’appelle Carlos Ghosn. Quand vous lui serriez la main, il y avait comme un courant froid qui vous remontait jusqu’au cerveau. Une machine. Et en fait, ce garçon était sur un discours de la peur. C’est assez impressionnant comme tous ses discours portaient sur le réussir ou mourir, réussir ou mourir… Par exemple, quand il parlait, il parlait des engagements, pas des objectifs. Un objectif, on a le droit de ne pas l’atteindre, mais quand on prend un engagement, on le tient.
Il était dans un discours terrorisant. Terrorisant, parce que les gens qui l’écoutent se disent : « Donc nous n’avons pas la possibilité de ne pas réussir. » Vous imaginez la pression que cela vous met ? Xavier Niel, lui, est sur le discours de la colère. Si vous vous rappelez quand Free a été lancé, il avait un discours extraordinaire. Il disait : « Vous avez été traités comme des pigeons par les opérateurs. » Il est beaucoup dans la revanche. C’est lui le trublion qui va casser la gueule aux gros. Il était beaucoup là-dessus, sur ce discours de la colère. Et puis, à côté de ça, vous aviez un Stéphane Richard qui, lui, était vraiment sur le discours de la joie. Le discours de la joie, c’est un discours qui est basé sur des choses assez simples. Par exemple : « Ne nous inquiétons pas sur notre capacité à réussir. Nous avons déjà réussi des choses similaires. Donc, il n’y a pas de raison que nous ne soyons pas en capacité de le refaire à nouveau. » Ce sont des choses qui font que les gens se disent : « OK, on peut le faire et on est prêts à y aller. » 

Oui, mais dans ce discours de la revanche de Niel, nous sommes dans le manque, condition première de l’envie. Donc ça peut être également un moteur performant.

Oui, mais sur un temps assez court, en fait. Quand on dit à ses équipes : « On n’est pas les leaders, on est second sur le marché, on va casser la gueule au premier », on est vraiment dans cette agressivité, cette colère contre les concurrents, et on attise la colère de ses clients en leur disant « Ils se foutent de votre gueule… », et ça marche super bien, mais ça ne tient pas dans la durée parce qu’il n’y a pas de projet. La peur et la colère ne font pas un projet. La peur ne soude pas le collectif.
Je pense que ce qui fonde le collectif, c’est le projet. Ce n’est pas la peur. La peur, c’est une réaction quasiment primaire de défense qui fait qu’on va se regrouper. Comme la colère. On va se regrouper pour être plus forts ensemble. Mais ce n’est pas un projet. Alors que le projet qui fait sens et qui fait qu’on est fiers de ce que l’on fait, qu’on a une satisfaction à œuvrer et qu’on le fait dans le cadre de relations qui sont de grande qualité, ça fonde un projet qui peut s’inscrire dans le temps. Donc, il y a un rapport au temps qui est un peu différent1.

1.  Extrait de l’interview d’Olivier Bas du 10 février 2022 – www.youtube.com/watch? v=7mIAWNmeJNI&t

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