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Les émotions de l’envie stimulante – Michaël Devilliers pour l’ouvrage “Envier ou avoir envie”

EXTRAIT DU NOUVEL OUVRAGE COLLECTIF DU CERCLE DU LEADERSHIP « Envier ou avoir envie »

 

Par : Michaël Devilliers,  Psychologue, formateur, conférencier.

 « L’envie n’est qu’une peur de voir de la beauté qu’on ne pourrait pas réaliser soi-même. »
Jules Renard

 

 

 

Le désir né de l’envie


L’envie naît d’une comparaison à un autre valorisé pour ce qu’il possède ou ce qu’il a réussi à accomplir. Cette conscience éveille la sensation du manque et nous pousse à nous approprier en fantasme sa réussite. L’envié n’est pas perçu pour ce qu’il est, mais apparaît comme une image de ce que nous souhaitons atteindre, point de départ de la volonté de réduire la distance qui nous en sépare. L’envie peut donc être considérée comme une source de motivation. D’une certaine manière, on pourrait même la considérer comme une formulation d’objectifs, l’envieux représentant l’état présent et l’envié symbolisant l’état désiré. Si l’envieux est suffisamment proactif et responsable, il pourra ainsi réfléchir aux ressources dont il a besoin et à l’organisation des étapes qui le guideront vers la réalisation de cette envie.

Une première qualité de l’envie est qu’elle nous pousse très naturellement à nous imaginer dans la position de l’envié. La visualisation de la réussite est un outil reconnu dans la poursuite d’objectifs. En psychologie du sport, l’athlète est, par exemple, invité à imaginer le comportement souhaité, associé à une pleine réussite et de manière multisensorielle, avant de l’entraîner dans la réalité. Cette visualisation active la plasticité cérébrale et facilite l’apprentissage. L’envie, par son désir de ce qu’est ou a l’autre, a ainsi le pouvoir d’activer nos neurones miroirs, responsables de l’apprentissage par mimétisme, et donc de favoriser notre évolution. 

Autre avantage, l’envie est relativement imperméable à la désirabilité sociale. L’envie, considérée comme peu acceptable, agit en amont de l’idée que nous nous faisons de ce qu’il est bon de désirer ou non. Elle peut ainsi surprendre l’envieux par un désir émergeant qu’il ne soupçonnait pas.
Les qualités décrites jusqu’à présent montrent uniquement les aspects stimulants de l’envie. Mais l’envie est une émotion complexe, elle est ambivalente et doit être comprise dans son entièreté avec les émotions négatives qui la constituent. En effet, la peur, la colère ou encore la tristesse ont besoin d’être accueillies et réfléchies pour permettre à l’envie de devenir une source de désir. Pour cela, vous aurez besoin pour vous et vos collaborateurs de quelques clés de compréhension.

 

La peur et l’envie d’aventure

 

Dans son ouvrage Le Héros aux mille et un visages, Joseph Campbell1 a exploré la théorie du monomythe selon laquelle toutes les grandes histoires du monde suivraient une même structure narrative, elle-même liée à la psyché humaine. Dans cette structure, l’appel de l’aventure est presque toujours associé à un refus de cet appel. Si la vie pousse le héros à quitter son monde ordinaire pour réaliser son destin, celui-ci est souvent plutôt réticent au départ. Cette hésitation symbolise la peur présente pour chacun d’entre nous et qui accompagne l’envie d’entreprendre2.

La peur est une émotion qui cherche à anticiper les dangers. C’est sa raison d’être. Elle n’a pas pour fonction de connaître l’avenir, mais d’imaginer des scénarios afin de s’y préparer au cas où ils se réaliseraient. Il est donc logique de la voir apparaître dès que l’on se lance dans l’inconnu. Elle est le signal que nous sommes vigilants, présents à ce qui se passe et proactifs pour que tout se passe au mieux. Ne pas avoir peur, c’est rester en terrain connu. Si vous souhaitez grandir, évoluer et changer les choses, vous trouverez tout ce dont vous avez besoin de l’autre côté de la peur. Il suffit de la traverser. 

Une difficulté à affronter ses peurs laissera l’envieux dans un état de manque et d’impuissance intolérable qui, pour apaiser ce conflit interne, peut le pousser droit vers la violence de l’envie maligne.
Si vous questionnez des entrepreneurs ou des sportifs sur leur ressenti quand ils sortent de leur zone de confort, ils ne parleront probablement pas de peur, mais d’excitation. C’est une réinterprétation cognitive intéressante car on retrouve dans l’excitation tous les signaux physiques de la peur (rythme cardiaque, tension interne, respiration). La différence ? L’envie. L’envie d’aller vers, de sauter dans l’inconnu et de se lancer dans l’aventure. Comme en sortant d’une attraction à sensations, le corps est encore vibrant de peur, mais baigne dans le plaisir indicible qu’il y a à traverser ses peurs pour suivre son envie.

 

La colère et les envies dissidentes

 

La colère est une émotion très énergisante qui a besoin de trouver sa place. Elle est le porte-étendard de nos valeurs et nous aide à poser les choix et les actions qui nous aideront à les faire exister dans le monde. Quand la colère s’associe à l’envie, c’est aussi pour nous transmettre un message. L’envieur peut, par exemple, ressentir une attirance pour l’objet de l’envie et une profonde colère envers les valeurs portées par l’envié. Clarifier le système de valeurs qui alimente cette envie permettra de profiter de la motivation liée à la joie de l’envie et de l’énergie liée aux valeurs portées par la colère.


Mais si la colère n’est pas accueillie – sentir de l’envie et du ressentiment envers l’envié est socialement peu acceptable et pourrait pousser l’envieux à se couper de son émotion –, elle risque de se transformer en violence. Voici une histoire qui illustre une telle dynamique. Lors de la guerre en Irak, des soldats écossais, enrôlés par Blair dans l’armée britannique, sont rentrés avec un taux de stress posttraumatique très élevé. Fait plus étrange encore, les traitements d’habitude efficaces pour ce type de pathologie ne fonctionnaient absolument pas. Pire, ils semblaient même aggraver les symptômes. 
Il fallut quelque temps avant de comprendre que la peur n’était pas à l’origine de ces stress post-traumatiques. En réalité, les soldats étaient en colère, avec la sensation d’avoir été trahis et envoyés dans une guerre injuste dont le but n’était pas la libération d’un pays, mais la protection d’enjeux pétroliers. Le problème, c’est que, dans l’armée, la loyauté et l’obéissance sont plus valorisées que l’expression des émotions. Ne pouvant exprimer leur colère, ils sont entrés en conflit avec eux-mêmes. Une fois qu’un espace de parole a pu être mis en place, les symptômes ont rapidement disparu3.

Cette situation montre comment la colère peut se transformer en violence, qu’elle soit dirigée vers soi, comme dans le cas d’un burn-out ou d’un trouble anxieux, ou vers l’extérieur, comme le harcèlement. 

 

La tristesse, le deuil et l’envie

 

La tristesse est l’émotion du deuil qui nous accompagne dans les situations sur lesquelles nous n’avons aucun contrôle. Elle donne le temps d’accepter, se reconstruire et mieux se relever d’une perte. Quand elle apparaît au sein de l’envie, cela signifie donc que l’envieux doit, d’une manière ou d’une autre, renoncer à atteindre l’avantage de l’envié. Mais cela est-il vraiment le cas ou s’agit-il d’une illusion masquant une croyance limitante ? Une envie triste peut être l’occasion de questionner sa vision du monde et de nous poser cette question : ce que nous envions existe-t-il en abondance ou s’agit-il d’une ressource limitée ? Car une croyance basée sur le manque implique que ce que l’envié possède nous en dépossède.

Le mythe de Dédale en est une belle illustration. En prenant le jeune Perdrix comme apprenti, il lui transmet une vision très abondante de la créativité en lui expliquant que les idées sont tout autour et qu’il suffit de les cueillir. Pourtant, il oublia cette précieuse leçon quand son apprenti devint presque son égal, recevant une reconnaissance grandissante de son talent. Dédale fut pris de jalousie et, dans sa rage, provoqua la mort de Perdrix.


Envier la jeunesse est un exemple d’envie triste, car nous n’avons aucun contrôle sur le temps qui passe. C’est une chose très naturelle.
Mais l’envie triste de la créativité, de l’argent ou de la réussite sociale de l’autre est un piège. C’est un deuil fallacieux dont le but est de cacher notre pouvoir d’action sur la situation et notre responsabilité. Prendre cette voie entraîne à nouveau vers un conflit interne – une partie de nous sachant ce qu’il en est –, source potentielle de violence.

 

La diversité de nos émotions

 

Se connecter à l’envie est la première étape du voyage. En la suivant, nous allons traverser toute une série d’expériences de réussites, d’échecs et des difficultés inhérentes à tout projet, et qui ont la capacité d’éteindre le désir d’avancer. Un homme en contact avec l’entièreté de son paysage émotionnel, sans jugement, avec ses émotions positives et négatives, a la capacité de traverser ces étapes tout en protégeant son appel. Pour installer une telle résilience au sein d’une équipe, il est essentiel de sensibiliser les managers et les dirigeants aux ressources que sont les émotions, notamment quand elles s’associent à l’envie, afin qu’ils puissent développer leurs propres compétences émotionnelles, montrer l’exemple et installer au sein du collectif une culture émotionnellement intelligente.

 

1.  J. Campbell, Le Héros aux mille et un visages [1949], J’ai lu, 2013
2.  R. Dilts et S. Gilligan, Le Voyage du héros, InterÉditions, 2019 (2e éd.)
3.  P. Philippot, Émotion et psychothérapie, Mardaga, 2007

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