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Envie et intelligence collective – Marie Paillard & Bruno Chaintron pour l’ouvrage “Envier ou avoir envie”

EXTRAIT DU NOUVEL OUVRAGE COLLECTIF DU CERCLE DU LEADERSHIP « Envier ou avoir envie »

 

Par : Marie Paillard, Associée, Grant Alexander – Executive Interim & Bruno Chaintron, Directeur général, Grant Alexander – HR and Organisation Transformation.

« Je suis ce que je suis grâce à ce que nous sommes. »
Ubuntu, sagesse africaine


Le 24 juin 1995, à l’Ellis Park Stadium de Johannesburg, l’Afrique du Sud remporte la finale de la Coupe du monde de rugby en triomphant de la Nouvelle-Zélande 15 à 12. 

François Pienaar, le capitaine, a su fédérer une équipe multiraciale dans un pays pourtant divisé par l’apartheid. 

Le 22 juin 2010, dans la cuvette du stade de Bloemfontein, la France est éliminée de la Coupe du monde de football. Elle vient de perdre 2 à 1 contre les “Bafana Bafana” sud-africains. L’épilogue d’une triste saga marquée par une grève de l’entraînement et la division des joueurs, qui sont allés jusqu’à refuser de descendre de leur bus.

 

LA DOUBLE NATURE DE l’envie

Dans le premier cas, une équipe donnée perdante face à un collectif de champions néo-zélandais réputés plus fortes parvient à hausser son niveau de jeu collectif pour remporter la victoire. 

Dans le second cas, un groupe de joueurs, pourtant vice-champions du monde, échoue à canaliser les ambitions de ses membres, se divise et quitte la compétition sans même avoir gagné un seul match.

Une histoire d’envie et d’intelligence collective… Divisés par les envies, les Français n’ont, ce jour-là, pas témoigné de beaucoup d’envie collective. Les Sud-Africains ont, eux, su mettre le “je” au service du “nous” pour organiser le “jeu” collectif. 

L’envie a une double nature. L’envie “maligne” est ce sentiment de séparation, qui ronge la personne envieuse de la “supériorité” de l’envie. L’envie “bénigne”, elle, est force d’émulation qui pousse au dépassement de soi.

Les Sud-Africains sont parvenus à dépasser leurs sentiments pour triompher du “mythique” Néo-Zélandais Lomu – 1,96m, 125 kilos et auteur de 4 essais en demi-finale contre l’Angleterre – qu’aucun d’entre eux n’aurait pu battre individuellement.

 

transmuter l’envie

Lorsque nous sommes dans un collectif, inexorablement, nos mécanismes de comparaison sociale s’activent. Soit pour nous porter, par le biais d’une saine émulation, vers la victoire collective : “Il n’a pas peur de s’élancer vers Lomu, donc je peux le faire aussi !” Soit pour nous enfermer dans une envie maligne, nous diviser par la multiplicité des sentiments destructeurs et, fatalement, nous conduire à l’échec…

Comment “transmuter” l’envie pour produire de l’intelligence et du jeu collectifs ? 

Un enjeu de taille, à l’heure où nos sociétés et nos entreprises ont plus besoin que jamais de surmonter leurs divisions, pour fédérer les énergies individuelles et résoudre des problèmes d’une complexité inégalée.

Mais revenons à ce mécanisme de comparaison sociale, qui se déclenche plus ou moins inconsciemment, presque malgré nous, lorsque nous sommes dans un collectif. Occasionnellement, cette comparaison nous renvoie au sentiment de notre propre “infériorité”, ou à ce que nous ressentons comme tel… C’est le début d’un drame intérieur, dans lequel rien n’est encore joué et qui peut encore déboucher sur le pire ou sur le meilleur.

 

Spirale négative

La personne qui se compare peut se sentir en infériorité. Elle ignore pourtant l’étendue réelle de cette prétendue “supériorité” de l’autre mais elle juge que cet autre “a plus” (d’argent, de pouvoir, de prestige…) ou “est plus” (extraverti, attirant, favorisé…). La personne envieuse réagit parfois en se centrant sur soi, rejetant l’autre, entretenant sa colère ou sa frustration. Ignorer-Juger-Réagir : la spirale négative est enlenchée ! 

Les frustrations prennent le dessus, la personne envieuse n’écoute plus. Elle rumine en boucle. Plus ou moins consciemment, elle se dévalorise… Jusqu’à critiquer les autres et au besoin minorer leurs succès. Ce qui permet de maintenir un niveau d’inconscience suffisant pour ne pas se remettre en question, voire pour justifier un sabotage conscient. 

Malheureusement, dans ce processus, la personne a perdu de vue l’essentiel, l’enjeu véritable de la partie, de la réunion ou de la bataille. Quelles vont être les conséquences pour le groupe ? Quel impact l’envie va-t-elle avoir sur l’intelligence collective ? 

 

INTELLIGENCE COLLECTIVE

“L’intelligence collective se manifeste par le fait qu’une équipe peut résoudre des problèmes plus efficacement que lorsque ces personnes travaillent isolément1.”

Pour définir l’intelligence collective, nous nous appuierons sur les travaux de James Surowiecki2, qui affirme que l’intelligence collective émerge à partir d’un groupe de personnes diverses qui fournissent des informations variées, en s’appuyant sur leurs connaissances terrain localisées ou sur leurs expertisés spécialisées, et sont sollicitées sans être indûment influencées par les autres.

Un mécanisme objectif d’agrégation des données fournies par chacun doit ensuite les combiner en informations et en connaissances pour déterminer l’opinion ou l’action du groupe3.

Les travaux que nous menons depuis plus de douze ans dans le cadre de notre propre activité de conseil en accompagnement des transformations et en développement de l’intelligence collective nous ont conduits à rajouter deux autres conditions nécessaires au développement de l’intelligence collective4:

  • l’intelligence émotionnelle de chaque membre du groupe est primordiale pour que chacun ose s’exprimer et soit capable d’écouter;
  • il doit exister préalablement un cadre clair rappelant le but et l’enjeu et précisant les règles du jeu. 

 

Envie et intelligence collective 

L’envie maligne mine l’intelligence collective de plusieurs manières. La personne envieuse n’est plus capable d’écouter. Parfois, elle n’est pas non plus capable de s’exprimer de façon à être entendue : elle s’exprime mal ou elle ne s’exprime plus. Elle s’isole.

Parfois même, la ou les personnes envieuses retiennent des informations qui seraient utiles à la résolution du problème.

Chacun est influencé négativement par les autres. Les réactions sont contagieuses. Le mécanisme de prise de décision devient irrationnel.

Le plus communicant cherche à imposer son opinion aux autres… Et/ou c’est le dernier qui parle qui a raison… Et/ou le “chef” impose son point de vue sur un mode dictatorial.

Le collectif a perdu en intelligence (collective). Il a perdu de vue le cadre, le but et parfois même les règles du jeu.

 

Spirale vertueuse

A contrario, lorsqu’une personne a la chance de faire partie d’un collectif performant et bienveillant, elle peut donner le meilleur d’elle-même.

Elle ose s’exprimer parce qu’elle sait qu’elle ne sera pas jugée, mais soutenue. Il devient facile d’écouter l’autre pour ce qu’il nous apporte. 

L’envie est devenue émulation, joie du jeu et plaisir partagé. Les échanges sont nourris et nourrissants. 

La confiance en soi grandit. De même que la confiance interpersonnelle, clé de la confiance organisationnelle.

Dans les séminaires d’intelligence collective que nous animons, nous voyons très régulièrement des groupes, autorisés à rebondir sur l’idée d’autrui, devenir capables de dérouler collectivement un fil stratégique et parvenir à démêler une situation complexe, puis à construire une nouvelle solution qui semblait pourtant hors de portée.

Un travail de groupe est véritablement réussir lorsque chacun, à la fin, peut dire aux autres :”Wahouh, je n’aurais jamais pu faire ça tout seul !” L’intelligence collective est la clé qui permet à chacun de grandir.

 

UBUNTU

En Afrique, Ubuntu, une sagesse ancestrale d’originale bantoue, traduit dans ces mots ce que chacun peut alors constater et ressentir – quasi physiquement dans son corps – à l’issue d’un travail en groupe : “Je suis ce que je suis grâce à ce que nous sommes.”

Le 19 juillet 1995, moins d’un mois après la victoire de l’Afrique du Sud contre les All Blacks, fut créée par Nelson Mandela la commission Vérité et Réconciliation, présidée par Mgr Desmond Tutu, afin de panser les plaies de l’apartheid et d’unir les forces du pays.

Nelson Mandela et Desmond Tutu furent deux fervents avocats de la réconciliation de l’Afrique du Sud et de grands supporters d’Ubuntu. Le 10 décembre 2013, aux obsèques de Madiba, Barak Obama prononça les paroles suivantes : “Nelson Mandela comprenait les liens qui unissent l’esprit humain. Il y a un mot en Afrique du Sud – Ubuntu – (applaudissements) -, un mot qui incarne le plus grand don de Mandela, celui d’avoir reconnu que nous sommes tous unis par des liens invisibles, que l’humanité repose sur un même fondement, que nous nous réalisons en donnant de nous-mêmes aux autres et en veillant à leurs besoins5.”

 

que faire en pratique ?

L’envie bénigne construit de l’intelligence collective. L’envie maligne détruit de l’intelligence collective. Que peut-on faire sur le plan pratique pour enclencher la spirale positive ? 

Tout commence bien entendu à l’intérieur de soi, par une prise de conscience personnelle. Cela dépend aussi du nveau de bienveillance du collectif auquel vous appartenez. Par exemple, dans un collectif soudé et “supportif”, lors d’une réunion commerciale dans laquelle vous vous sentez en difficulté, il est possible :

  • d’identifier ce qui se passe en moi : “Je suis dans un collectif, mes chiffres ne sont pas au niveau. Je ne me sens pas bien”;
  • de verbaliser et de partager mon état d’esprit à l’équipe : “Ce matin, je ne me sens pas au top et je ne me sens pas à l’aise avec mes chiffres vis-à-vis de vous”;
  • d’exprimer mon besoin au collectif : “J’ai besoin de votre aide pour décrocher telle affaire.”

C’est-à-dire prendre conscience de ce qui se joue en soi à ce moment-là, verbaliser son émotion et exprimer son besoin. Le degré de partage de l’émotion et du besoin dépendra, bien sûr, de l’appréciation que vous ferez du degré d’ouverture du groupe et de sa capabité à accueillir le message.

En synthèse, l’intelligence émotionnelle est l’un des facteurs essentiels déterminant le niveau d’intelligence collective d’un groupe – bien plus que la performance individuelle ou le QI de ses membres pris individuellement.

Souvenez-vous du 12 juillet 1998. C’était devenu un rituel. Avant chaque match de l’équipe de France, lors de la Coupe du monde de football. Laurent Blanc embrassait le crâne de Fabien Barthez, comme pour porter chance à l’équipe. Une image restée dans la mémoire collective : ce jour-là, la France avait remporté la finale 3 à 0.

 

1. S.M. Reia, A.C. Amada, J.F. Fontanai, “Agent-based models of collective intelligence”, Physics of Life Reviews, physics of Mind, 2019.
2. J. Surowiecki, La Sagesse des foules, JC Lattès, 2007.
3. J. Survowiecki, cité par E. Servan-Schreiber, La Nouvelle Puissance de nos intelligences. Supercollectif, Fayard, 2018.
4. Travail mené par Grant Alexander – HR & Organisation Transformation, activité de conseil en accompagnement des transformations, auprès de ses clients, pour scanner et développer l’intelligence collective d’un groupe, à l’aide des outils digitaux Role Crafting.
5. Discours de Barack Obama du 10 décembre 2013 au stade Soccer City de Soweto devant 91 chefs d’Etat.

 

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