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Du bon côté de l’envie compétitrice – Didier Pitelet pour l’ouvrage “Envier ou avoir envie”

EXTRAIT DU NOUVEL OUVRAGE COLLECTIF DU CERCLE DU LEADERSHIP « Envier ou avoir envie »

 

Par : Didier Pitelet, Fondateur de La Maison – Henoch Consulting, MoonPress, StudioMp2 –, Président du Cercle du Leadership.

 « Carpe diem, quam minimum credula postero1. »
Horace


Entre envie et compétition se joue un combat originel de sens entre le bien et le mal, le positif et le négatif. L’envie émulatrice comme moteur et la compétition comme dépassement, d’une part ; l’envie maligne de l’envieux et la compétition au sens combat pour éliminer l’autre, d’autre part.
Deux faces d’un miroir qui peuvent donner le pire comme le meilleur et qui ont jalonné le récit de l’humanité.


Ces deux réalités existent tant dans le monde économique que dans les mondes sportif, associatif, culturel… Elles illustrent l’âme humaine dans sa binarité mais aussi toute sa complexité existentielle. J’existe pour dominer ou j’existe pour vivre avec… «
Homo homini lupus est2 » (Thomas Hobbes) versus « l’homme est naturellement bon » (Jean-Jacques Rousseau).
Comme il est de coutume d’importer dans le monde de l’entreprise un bréviaire issu du sport – « Nous sommes une équipe », « Dépassonsnous, pulvérisons nos objectifs, faisons une année record », « le manager coach », « On va bouffer nos concurrents » … –, il est intéressant de s’attarder sur le détournement des mots et d’analyser si, derrière le bréviaire, l’envie se nourrit des vertus de la compétition.

 

Meilleur pour soi et pour les autres

 

La compétition n’a de sens que dans la confrontation et le dépassement dans un premier temps avec soi et avec les autres dans un second temps.
Que l’on soit dans un sport individuel ou collectif, seul sur la piste ou sur le terrain, le sportif exulte dans sa capacité à se dévoiler à soi-même, en allant au-delà de ce qu’il estime être ses limites ; ce dépassement est le moteur de l’envie, le carburant du petit plus, synonyme de victoire.
C’est ce carburant qui lui permet de se sentir pleinement en vie !


En ce sens, l’envie permet de lutter contre l’ego qui détourne souvent la personne de son chemin, si son emprise l’enferme dans un égoïsme castrateur. La compétition pour la compétition, le sport pour le sport sont autant de névroses et d’addictions possibles, si le sportif n’avance pas dans l’ambition de devenir une meilleure personne dans son art et dans la Cité.
L’agora du sport regorge des deux typologies, mais l’histoire encense davantage les beaux champions que les égocentrés.
L’envie de devenir meilleur pour soi et pour les autres est un chemin qui doit être guidé par l’humilité, à l’image du buteur de rugby qui sait que du bout de son pied dépend souvent la victoire de l’équipe, et qui reste seul sur le terrain après l’entraînement pour enquiller, encore et encore, des tirs entre les perches. Son défi ? Le geste parfait, pour lui et pour le maillot qu’il porte.


L’envie est la raison de l’engagement et de l’action. Avoir envie dans un environnement compétitif revient à vouloir être meilleur par rapport à son art mais pas seulement. Si le progrès se limite au geste parfait sans se poser le sens même du résultat ou encore à l’accumulation de titres, sans se poser les questions fondamentales de l’exemplarité, de la transmission, du partage et de la communion avec ses parties prenantes, ce progrès-là n’a un impact autre que le temps de la performance ; il n’a que peu d’impact sur le monde en dehors du cénacle restreint des supporters.

 

La compétition face aux envies

 

Il en va de même dans l’entreprise qui subit depuis des années une logique de déshumanisation de son organisation, du matriciel schizophrène à l’individualisme forcené et ses aberrations du non-sens. L’entreprise est par essence un champion qui est là pour performer, progresser, aller de l’avant… Mais trop souvent, sous la pression du toujours plus, toujours plus haut, toujours plus fort… Certains finissent par croire que les arbres montent au ciel.
Il est de bon ton de parler de problèmes d’engagement ou encore de mettre en avant les comportements de la fameuse génération Z,
alias les mutants ; le bon vieux temps sacrificiel du « tout travail », au sens « j’existe par mon travail », est chamboulé, voire révolu au profit d’une autre forme d’envie qui met à mal la notion même de performance.
L’envie de vivre tout simplement.


Si l’envie de performance et de compétition se traduit par la situation actuelle du monde du travail et de la planète dans son ensemble, pour de plus en plus de personnes, elle n’a plus de sens car justement elle ne donne pas envie. Derrière ce raccourci se pose la question du sens à donner à l’envie d’entreprise et de performance/compétition.
Bien sûr, les entreprises à mission incarnent une voie à suivre, sous réserve d’être pleinement authentiques…
La performance utile se substitue à la compétition, portée par une finalité qui donne du sens. Elle peut motiver l’envie à la fois individuelle et collective pour s’engager dans une compétition.
Combien de managers prennent des mots pour des idées en espérant interpeller l’envie de chacun tout en s’appuyant sur des poncifs éculés du siècle dernier.
La vraie compétition est désormais face à soi, face à ses envies et son envie d’être pleinement soi.

 

Être le champion de sa vie

 

Entre cette aspiration légitime et sa concrétisation, il y a souvent un gap qui repose sur l’audace du pas de côté. L’envie de sortir du moule pour suivre son chemin. Mais tout le monde n’ose pas aller vers cet inconnu que l’on est pour soi-même.

La véritable compétition est celle qui permet d’aller vers soi pour se libérer des carcans non seulement des dogmes économiques, consuméristes et autres… Cela s’apparente à une compétition face au temps qui, par définition, est compté, face aux diktats de l’époque qui asservissent et face à la société de consommation qui prétend rendre heureux par le fait même de consommer.
C’est l’envie d’avoir face à l’envie d’être.


Chacun de nous est potentiellement le champion de sa vie, sous réserve :
de ne pas la caler sur celle des autres au sens de les envier ;
de se libérer des chaînes des conformités ;
de connaître sa vraie nature (« Connais-toi toi-même et tu connaîtras l’univers et les dieux » temple de Delphes) ;
de tracer son plan de vie sans chercher les plans préétablis par la société ;
de se débarrasser de toutes formes d’envies au sens d’envier autrui en comprenant que l’exclusivité de chacun n’est pas imitable, mais vient au contraire mettre en perspective la richesse du genre humain.

 

Sublimer l’envie de compétition

 

Dans une époque où toutes les envies ont tendance à entrer en compétition les unes avec les autres, il est plus qu’utile de rappeler le droit à l’exclusivité de chacun dans le respect et l’intérêt collectif. L’histoire n’a pas réussi à supprimer la notion de compétition en humanité, mais perpétue l’héritage fratricide de Caïn et Abel et son lot de jalousie, de frustrations…
Envie et compétition peuvent, de fait, se nourrir par l’exemplarité de celui qui réussit non pas uniquement au sens matériel du toujours plus, mais bien au sens du bonheur de vivre harmonieusement ses rêves.
Le compétiteur devient modèle à l’image du maître et de l’apprenti.
Il sert d’exemple, ouvre une voie pour permettre à d’autres de trouver la leur. Sa réussite est source d’envie d’y aller, de l’imiter, pour comprendre pourquoi faire mieux ; toute performance est faite pour être dépassée. Celle ou celui qui inscrit son nom sur un trophée l’inscrit surtout dans une lignée, un héritage. Il en va de même dans la vie et dans l’entreprise dès lors que l’on comprend que l’envie est moteur et non une source de compétition.


Trop d’entreprises et de sociétés civiles opposent les envies des uns et des autres. Cela donne les luttes internes en entreprise et le bal des hypocrites qui font allégeance à une culture et qui agissent à l’inverse de ses valeurs et dans la société civile. C’est l’avènement des lobbyings de minorités et autres formes de communautarismes fragmentaires qui aboutissent à une surenchère d’envies exclusives. Une entreprise, comme une société, qui ne sait pas sublimer l’envie de compétition (aller au-delà) dans l’intérêt collectif et d’un monde meilleur est condamnée à disparaître. L’art de vie qui rassemble peut voler en éclats sous le laisser-aller des envies nocives. La compétition positive est un état d’esprit culturel et pédagogique pour être du bon côté de l’envie.
C’est le drame de notre pays et de son modèle scolaire républicain qui confond égalité et égalitarisme et qui aboutit au final à « La fabrique du crétin3 ». C’est le drame aussi du leadership en entreprise qui sublime davantage les ego que la culture et ses rites. Dans les deux cas, l’individualisme prime au détriment du projet collectif, le court terme sur la transmission. En clair, l’envie d’entreprise devient un leurre à l’image de « l’entreprise buissonnière4 » et la grande démission qui sévit dans nombre de pays. 
Par manque de courage et de vista de dirigeants (politiques comme chefs d’entreprise) portés par leurs seules envies personnelles, nous vivons une fin de cycle qui a tout d’un chaos sans précédent où les lumières d’hier n’éclairent plus aucun chemin. Les prophètes en vogue prédisent déjà un nouvel ordre, à l’instar du métavers et ses promesses de vies substituées, forcément plus belles, plus riches, plus épanouissantes que la vraie vie. Bien évidemment le pouvoir des marchands du Temple nous assure déjà l’asservissement par l’illusion d’être en vie. Est-ce la fin de la compétition au sens vivre pleinement le défi de la vie ou le début d’une nouvelle humanité qui saura redéfinir l’envie de bien commun ?


Je crains que si tout le monde vit une vie de super héros via son avatar, c’est le sens même des valeurs de vie qui sera remis en question, passant par pertes et profits la célèbre citation de Guillaume d’Orange dit « le Taciturne » : « Point n’est besoin d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer. »


Une chose est sûre, une vie n’est qu’un claquement de doigts, l’oublier engendre l’illusion de vie : « Carpe diem, quam minimum credula postero » nous invite à vivre à fond chaque seconde de vie et non à se contenter du temps qui passe pour espérer trouver un sens à sa vie.
Kronos veille sur nous. 

 

1.  « Cueille le jour présent sans te soucier du lendemain. »
2.  « L’homme est un loup pour l’homme. »
3.  J.-P. Brighelli, La Fabrique du crétin, L’Archipel, 2005
4. D. Pitelet, La Révolution du non, Eyrolles, 2020.

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