L’éthique de l’IA : un sujet stratégique dans le private equity et le venture capital pour une création de valeur durable – un article d’Alexandre Rispal, Associé chez Hekzé, pour Private Equity Magazine

La création de valeur à un moment charnière avec l’IA

Nous assistons à un phénomène médiatique incontournable depuis plusieurs années : une accélération vertigineuse de l’adoption de l’intelligence artificielle dans les entreprises. En 2023, les dépenses mondiales en IA ont atteint 154 milliards de dollars (OCDE, 2025). Selon McKinsey, 65 % des entreprises mondiales utilisent désormais l’IA générative, preuve que ces technologies sont sorties du champ de l’expérimentation pour devenir des leviers opérationnels et générateurs de revenus à part entière (McKinsey, 2024).

Les perspectives sont colossales : d’ici à 2030, l’IA pourrait injecter près de 15 700 milliards de dollars dans l’économie mondiale (PwC, 2023). Ce basculement de paradigme n’est pas homogène : seules 28 % des entreprises du secteur TIC (numérique, infrastructures IT, start-up) avaient déployé une forme d’IA en 2023 (OCDE, 2025), ce qui souligne l’immense marge de progression dans les autres secteurs. D’un point de vue micro-économique, les gains sont tangibles : l’IA peut améliorer la productivité de 20 à 40 %, voire davantage selon les cas (BCG, 2024).

Tous ces éléments ont été notamment soulignés dans la contribution de Theodoros Evgeniou (Insead), qui relève combien les politiques publiques, lorsqu’elles s’appuient sur les institutions de diffusion technologique, peuvent créer un effet de levier dans l’adoption de l’IA, à condition d’articuler gouvernance, pilotage stratégique et accompagnement opérationnel (OCDE, 2025).

PE et VC : le sprint pour dominer via les futurs leaders de l’IA

Les fonds de venture capital et de private equity ont massivement réorienté leurs flux vers l’IA : 131,5 milliards de dollars investis en 2024 (+52 % en un an), soit plus de 50 % de l’activité mondiale du capital-risque (Pitchbook, 2025).

Ce chiffre indique clairement le poids stratégique de l’IA pour les investisseurs. Il est dorénavant explicite que la course est ouverte pour identifier les futurs champions de l’IA, dans une logique de winner takes all. OpenAI, Anthropic, Mistral, Cohere… la valorisation des top players explose, alimentée par les corporate strategics autant que par les fonds de growth. Le message est clair : il faut se positionner aujourd’hui, avant que les valorisations deviennent prohibitives ou que la fenêtre d’opportunités se referme.

Créer de la valeur dans les participations : cas concrets

Au-delà des grands discours parfois trop théoriques, sur le terrain, les gains de l’IA sont déjà mesurables. Maintenance prédictive, optimisation de la supply chain, service client augmenté : les cas d’usage se multiplient. Le point commun ? Des gains de productivité à deux chiffres.

Prenons deux exemples français : Ailton, fondée par Olivier Nachba, améliore l’efficacité opérationnelle des entreprises en déployant des agents IA dans le cadre de projets à court terme avec des ROI visibles dans des délais inférieurs à neuf mois. Autre cas : Hexagone, qui analyse les émotions vocales pour ajuster le discours commercial ou améliorer la relation client (Les Échos, 2024). Ces outils changent la donne, non par leur sophistication technique, mais parce qu’ils résolvent des irritants très concrets. Pour les fonds, le rôle est clair : identifier les cas d’usage opérationnels, à impacts rapides et bien entendu à fort ROI. L’objectif est aussi d’aider à industrialiser les preuves de concept et à accélérer l’exécution. L’IA devient un levier d’amélioration opérationnelle au même titre que le lean ou la digitalisation l’étaient hier.

L’éthique de l’IA : de la posture à l’obligation

Le débat sur l’éthique a basculé en 2023, avec la lettre ouverte du Future of Life Institute, co-signée par Yoshua Bengio (prix Turing, équivalent du prix Nobel IA), moi-même et d’autres leaders de l’IA, appelant à une pause dans les développements de l’IA générative (Future of Life Institute, 2023). Depuis, Bengio a co-dirigé le rapport scientifique présenté au sommet IA de Paris en 2025. Le constat est clair : les risques liés à l’IA vont des biais algorithmiques à la manipulation de l’opinion, en passant par la perte de contrôle ou les atteintes aux données personnelles (Bengio et al., 2025).

Par ailleurs, l’AI Act européen, entré en vigueur en 2024, pose un cadre juridique strict. Certaines applications seront interdites dès 2025. D’autres, dites « à haut risque », devront faire l’objet de processus de conformity assessment rigoureux d’ici à 2026 (Commission européenne, 2024). Ignorer ces cadres reviendra à s’exposer à un risque réputationnel, réglementaire et à une destruction de valeur à terme. Il est donc nécessaire pour les fonds qui veulent réussir leur percée dans l’IA de manière pérenne de les intégrer.

Investir dans une IA éthique : créer de la valeur autrement avec des operating partners experts

Les dirigeants des fonds disposent de plusieurs leviers : intégrer des profils hybrides compliance/tech/policy au board, missionner des boutiques d’operating partners hybrides IA éthique et tech (mixant des profils politiques et régulations avec des experts de haute volée en matière technologique), conduire des diagnostics éthiques flash dans le portefeuille… L’enjeu : allier accélération technologique et conformité dès la phase de build-up.

En intégrant ces compétences, les fonds peuvent se positionner comme partenaires exigeants mais éclairés. Cela rassure les LPs, valorise les participations et attire les meilleurs talents. Déjà, certains LPs interrogent les GPs sur leurs pratiques IA lors des due diligence ESG. D’ici à quelques mois, ce sera un prérequis.

Conclusion

L’éthique de l’IA n’est plus un gadget de think tank ou d’influenceur sur X en mal de reconnaissance. C’est un sujet stratégique pour le capital-investissement. Ceux qui sauront conjuguer excellence technologique et gouvernance responsable créeront un edge différenciateur durable. Pour les autres, le risque est simple : rater le virage ou, pire, l’aborder trop vite et risquer la sortie de route. In fine, la valeur résidera dans les participations capables de produire ou d’utiliser des IA éthiques et opérationnelles. Et les fonds capables de sécuriser ces aspects domineront le marché.